Nul ne peut plus y échapper. Car partout il se pavane. Au menu des petits bistrots et sur les cartes des tables gastronomiques. Dans la moitié des livres de recettes et sur les fiches cuisine des magazines. Dans les rayons surgelés des supérettes comme sur les catalogues professionnels. Et au dessert de l’anniversaire de ta cousine Raymonde aussi. Partout, partout, partout. Lui, c’est le fondant au chocolat, bien sûr. La douceur la plus populaire de ce début de XXIe siècle.
Le fondant au chocolat n’a pas trente ans. N’imaginez donc pas la recette patrimoniale que mitonnaient nos aïeules le dimanche. Il est né en 1981 dans l’Aubrac, en Aveyron, grâce à l’opiniâtreté créative d’un grand chef triple étoilé nommé Michel Bras, installé à Laguioles.
«Tout est parti d’une émotion», raconte le cuisinier. «Un retour à la maison après une sortie de ski de fond, par un temps exécrable. La famille, gelée, transie, muette, s’est attablée autour d’un chocolat chaud. Puis peu à peu, sous l’effet de la chaleur et du cacao, les langues se sont déliées, l’ambiance s’est réchauffée. Ce moment m’a fasciné. J’ai cherché à le retranscrire en cuisine.»
Á partir de là, le chef et sa brigade travaillent près de deux ans pour mettre au point le dessert. Testent. Expérimentent. Remettent cent fois la ganache sur le métier. «Pour cette recette, on peut parler d’ouvrage, tant la traduction technique de cette évocation a été difficile à germer, à se poser.»
Et un beau jour, après des mois de «fièvre» en cuisine, bingo! Le «biscuit de chocolat coulant» est né. La technique? Complexe. Résumons. Le noyau, une ganache de chocolat, est congelé, façon glaçon. Puis intégré dans un moule, au cœur d’une pâte à biscuit. Deux matières distinctes. Deux textures. Deux températures. Un succès planétaire.
Au fil des années, la trouvaille magnifique de Michel Bras se retrouve donc copiée, déclinée, banalisée, industrialisée. Il y aura même un
procès en paternité contre une société d’agroalimentaire, gagné par le grand chef. L’humanité gourmande, la bouche pleine de chocolat coulant, oublie vite le nom de son créateur. L’ingrate.